Bien malheureux celui qui s'aventure à Lorient et demande à un passant la direction du port, car il se verra prestement répondre « Lequel ? » avec une pointe d’amusement. Six ports : voilà ce qui fait de la ville morbihannaise un endroit unique en France, concentré d'activités maritimes à nul autre pareil.
Car à Lorient, « être en rade » n’a pas la même signification qu’ailleurs. Symbole de cette diversité, l’immense bassin voit chaque jour se côtoyer les chalutiers colorés, les infinis cargos, les voiliers portant pavillons de toute origine, les navettes pour les îles, les « bateaux gris » ou les bolides de course futuristes, taillés pour sillonner les océans du monde à vitesse grand V.
Chacun son port selon son caractère - bien trempé par les embruns - mais avec pour point de convergence, la mer. Du port originel de la Compagnie des Indes au pôle de course au large, l’omniprésence de l’océan a façonné l’identité maritime de « la ville aux six ports », où se nouent bien des attaches.
Le port de commerce, berceau originel
Depuis la mer, c'est la première silhouette qu'on aperçoit de Lorient : ces saisissantes grues bleues qui émergent de la rade, immenses oiseaux métalliques qui chargent et déchargent les navires avec indolence et précision. Le port de commerce est le plus ancien des ports de Lorient, et c’est bien à lui que la ville doit sa fondation, lorsqu’ordre est donné de trouver une base à la prestigieuse et toute-puissante Compagnie des Indes orientales…
© Lorient Bretagne Sud Tourisme
Du petit bois de hêtres à la ville-port
C’est en 1664 que la ville de Port-Louis, dominée par sa citadelle protectrice, est choisie pour accueillir la version française de la Compagnie des Indes orientales, tout juste fondée par Colbert, ministre de Louis XIV. Le but ? Damer le pion aux Anglais et aux Hollandais dans le commerce avec l’Asie, et montrer que le Roi Soleil ne se fera pas éclipser par ses monarques concurrents.
Deux ans plus tard, le chantier de construction navale de la manufacture s’implante en face, sur l’autre rive… Le site - appelé Faouëdic, ou littéralement “le petit bois de hêtres” - va rapidement supplanter Port-Louis, grâce à sa situation unique.
Protégé au fond de la rade, il devient en effet la porte commerciale des richesses raffinées qui parviennent des comptoirs : café, thé, épices, soieries ou porcelaines. Le siège océanique de la Compagnie prend le nom de « L’Orient », berceau de la future ville de Lorient - qui voit véritablement le jour avec la création, en 1770, du port-arsenal particulièrement gourmand en main-d’œuvre.
Sur les docks de Kergroise
Pendant des décennies, les navires marchands aux cales chargées d’épices ont tracé leur sillon jusqu’à ce refuge terrestre. La technologie a progressivement changé leur profil, et les évolutions de la société le contenu de leurs soutes. Désormais, c’est le va-et-vient des cargos qui s’impose vers le site de Kergroise : en 1920, ses eaux profondes sont jugées mieux adaptées au trafic maritime du charbon, avant que ce dernier ne disparaisse en 1975.
Depuis, ses emblématiques grues bleues font partie du paysage urbain, et les enfants lorientais les observent bouche-bée décharger les navires venus du monde entier. Car le site est un carrefour industriel sur le qui-vive : vracs alimentaires, produits pétroliers et autres marchandises transitent aujourd’hui par le port de commerce de Lorient, dont les agrandissements réguliers accompagnent l’évolution démographique de la ville.
Avec ses quelque 900 mètres de quais accostable, Kergroise est aujourd’hui une étendue de bitume et de câbles, un paysage industriel entre Coke en stock et Quai des brumes, où s’active chaque jour le personnel portuaire, grutiers et dockers, lamaneurs et mécaniciens œuvrant au bon déchargement du pétrole ou du soja brésilien, et qui font palpiter le cœur de Lorient.
© Lorient Agglo
Carte d’identité
- 25 hectares de terrain
- 1er port breton pour les hydrocarbures
- 2e port de commerce breton, derrière Brest ; 14e port de commerce français
- 6 terminaux (vracs secs, vracs liquides, sables et vrac minéral, agroalimentaire, marchandises diverses, colis exceptionnels)
- Un trafic annuel de 2,5 millions de tonnes
- 20 à 30 navires par mois (531 escales en 2022 dont 10 Panamax)
- 1 100 emplois
Le « Soleil d’Orient », le vaisseau des origines
Premier navire de commerce à sortir des chantiers navals, le Soleil d’Orient ne pouvait être mieux nommé pour briller. Par son rayonnement, il a donné son nom à la ville entière ! Par son prestige, oui, mais aussi par la durée que prit sa construction… Menée tambour battant par le maître charpentier Looman, il fallut près de cinq ans pour le bâtir. Si bien que les ouvriers nommèrent le lieu les « chantiers de l’Orient » par contraction de sa dénomination officielle, faisant fi du Soleil qui désignait, lui, leur roi.
© Soleil d'Orient, maquette au musée de la Compagnie des Indes
Il faut dire que sa vocation était d’en imposer en mer et d’assurer le monopole royal sur le commerce maritime avec l’Asie. Porte-étendard de la flotte à qui il ouvre la voie, le vaisseau commercial de soixante canons et mille tonneaux ne pouvait être que grandiose. Ainsi, le vaisseau inaugural devient l’éponyme du chantier qui l’a vu naître et de la place forte qui voit passer toutes les richesses d’Asie : la future ville de Lorient. Toutefois, sa renommée et son nom perdureront davantage que sa coque.
Malmené par la haute mer et le destin, le Soleil d’Orient n’effectuera en vérité que deux périples vers les Indes... Dès sa mise à l’eau, le fier esquif connaît une première avarie. Pavillon flottant, le vaisseau prend en effet le large en 1671 mais démâte dans la tempête au large de La Rochelle. Il est réarmé l’année suivante et fend les flots jusqu’à Surate, premier comptoir de la Compagnie de Indes Orientales, où il peut enfin jeter l’ancre pour y remplir ses cales d’épices, de coton et de bois de santal. L’opération est un demi-succès : le Soleil d’Orient rentre au port les cales chargées, certes, mais avec sept hommes sains et saufs sur les 300 ayant embarqué trois ans auparavant.
L’escale bretonne dure un peu. Puis, en 1679, le Soleil d’Orient quitte son port d’attache pour son second voyage. Il est prévu qu’il rejoigne le sultanat de Banten, royaume situé à l’ouest de l’île de Java. Sur les rives du comptoir indonésien l’attend le roi de Siam, Phra Naraï, qui compte bien charger le vaisseau des richesses et des présents les plus somptueux, en plus des traditionnelles étoffes de soies, pour le roi français - et, en bon diplomate, il n’oublie ni la reine, ni Colbert.
Chargé de la précieuse cargaison du souverain asiatique, sur laquelle veille une vingtaine de mandarins, le galion cingle vers Lorient (et l’occident, donc)… mais s’accorde une courte escale à La Réunion, afin de constituer des réserves d’eau douce, de gibiers et de fruits. Le 1erer novembre 1981, le Soleil d’Orient quitte le port Bourbon. Il fait naufrage peu de temps après au large de Madagascar. A-t-il été chahuté par une tempête tropicale, coulé par les Hollandais ou attaqué par des pirates ? Nul survivant pour faire le récit des circonstances de sa disparition.
Depuis lors, le vaisseau inaugural des chantiers de L’Orient repose dans les fonds marins, avec les trésors du Siam. Il nous laisse pour seule richesse, précieuse bien qu’impalpable, un nom à travers lequel perdure l’histoire d’un port devenu ville : Lorient. Et vogue, pour l’éternité, sur son étonnant blason bigarré.
Présentation du Port de Commerce de Lorient
© CCI du Morbihan
Le site de Kergroise accueille donc le port de commerce à partir de 1920.
Moins d’une décennie plus tard, dans le prolongement,
le port de pêche industriel de Lorient s’implante à Keroman.
Y brille, cette fois, la carapace d’un crustacé à la chair délicate et nacrée...
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