Il faut vivre un départ de Plastimo Lorient Mini 6.50 aux côtés d’Yves Le Blévec pour prendre la mesure du mot « passion ». Commentaires nourris, encouragements bruyants, et léger remontage de bretelles lorsqu’une dérive au vent a le malheur de traîner dans l’eau sous son nez… Il faut dire que le marin de 59 ans, qui s’apprête à vivre sa sixième édition de la « PLM » en tant que directeur de course, a un œil partout, et surtout pour tous. Avec cette envie viscérale de « transmettre et accompagner », le gagnant de la Mini-Transat 2007 cultive toujours sa passion pour les Mini 6.50… au point même d’en reprendre la barre cette année !
Pour l’état civil, Yves Le Blévec, directeur de course de la 11e édition de la Plastimo Lorient Mini 6.50, est officiellement né le 15 juillet 1965, à Palaiseau, en plein cœur de la grande couronne parisienne. Mais tous ceux qui le connaissent un tant soit peu savent qu’en réalité, Yves est plutôt « born in Mini », un beau jour de 2001 où il a tiré ses premiers bords sur ces bolides de 6 mètres 50…
Depuis, c’est une histoire d’amour qui dure entre le marin au palmarès ultra-fourni, à la tête désormais du Team Actual, et le circuit Mini. En tant que skipper bien sûr, mais aussi en tant qu’administrateur de la classe pendant de longues années, puis comme directeur de course, notamment de la Plastimo Lorient Mini 6.50, première course de l’année sur le bassin Atlantique, et « baptême du feu » pour bien des bizuths qui s’aventurent à découvrir la course au large.
Des débuts de « petite main »
Lui aussi en fut un, voilà près de vingt-cinq ans. Rien ne prédestinait pourtant ce gamin de la région parisienne à devenir l’un des plus grands marins de course au large français, grand animateur de la Classe Ultim depuis dix ans. S’il passe son enfance à rêver de bateau en lisant les magazines nautiques de son père qui narrent les exploits du bouillonnant Eric Tabarly ou de l’ascète Mike Birch, c’est grâce à une exfiltration à la Rochelle pour passer son baccalauréat que le jeune intrépide se rapproche enfin de la mer, et surtout des chantiers.
Car la course au large n’est malheureusement pas de ces milieux qui se laissent approcher si facilement. Heureusement, une paire de bras volontaires est rarement boudée quand il s’agit de venir poncer une coque ou des appendices. C’est au chantier rochelais Pinta d’abord, qu’Yves jouera les « petites mains » sur la coque du Columbus, l’ancien IMOCA de Jean-Yves Terlain.
Puis, le jeune homme offre ses services à Charlie Capelle, qui prépare alors une Route du Rhum. « Tu sais pas faire grand-chose, mais t’as l’air plutôt sympa. Tu seras payé mais quand j’aurai des sous », lui dit alors l’expérimenté marin. Le projet capote faute de financements, mais la promesse sera honorée : Charlie Capelle l’embauche lorsqu’il lance son chantier naval, à la Trinité-sur-Mer.
Là, Yves apprend le métier sur le tas, suivant les gestes et les conseils de cet esthète du composite à la passion hautement contagieuse. En 1989, il est temps de couper le cordon : Yves Le Blévec lance son propre chantier naval avec une autre légende de la classe Mini, Thierry Fagnent, vainqueur de la deuxième étape de la Mini-Transat 1995. AMCO naît et deviendra une référence, notamment dans la construction des Minis 6.50…
A sa place, enfin
Régater, prendre le large, bien sûr que l’idée continue de trotter dans la tête d’Yves Le Blévec, qui a toujours cette désagréable sensation de côtoyer son rêve sans réussir à l’atteindre. Pour changer des odeurs de résine, Yves fait un détour de quelques années dans un commerce d’accastillage, où il apprend la gestion et la rigueur des comptes. Puis il est embauché à Cherbourg pour finir la construction du maxi-catamaran Team Adventure, qui prépare le tour du monde imaginé par Bruno Peyron. Malgré tout son enthousiasme, il ne parvient pas à intégrer l’équipage. La déception est grande, mais agit comme un électrochoc. A la faveur d’un périple en vélo dans les Pyrénées, la décision est prise : tant pis pour la raison, son avenir se fera en Mini 6.50. Début 2001, Yves casse la tirelire pour racheter le 151, ce plan Finot de légende avec lequel Thierry Fagnent a tant brillé.
De ses premiers pas sur le circuit, Annabelle Moreau, secrétaire de la Classe Mini depuis 2001, se souvient d’un « petit gars beaucoup moins musclé qu’aujourd’hui ! » « Mais il ne passait pas du tout inaperçu, il avait déjà un gros bagage technique, il était tout de suite dans les candidats à suivre. Et surtout, c’était déjà quelqu’un qui n’était jamais avare de conseils, de bienveillance envers les coureurs, même quand c’était ses concurrents », raconte ce pilier de la classe.
Il faut dire qu’Yves trouve chez cette communauté Mini exactement ce qu’il était venu chercher : cette soif inextinguible de vivre des choses intenses, le tout dans un franc esprit de camaraderie, et un soupçon d’anticonformisme qui prémunit de se prendre trop au sérieux. A 35 ans, enfin, l’ancien banlieusard a trouvé son épicentre, et sa raison d’être.
Dès sa première course en solitaire, il termine sur le podium, et remporte quelques mois plus tard la Transgascogne. A l’arrivée de la Mini-Transat 2001, il est 5e à atteindre la baie de Salvador de Bahia, avec déjà sur son bordé un discret logo « Actual ». Et surtout, la confirmation de ce qu’il pressentait : son bonheur indescriptible d’être en mer, seul sur son bateau.
Mini, Maxi, Mini, Maxi
Son talent ne passe pas inaperçu, et quelques mois plus tard, Bruno Peyron lui cède une petite place dans l’équipage du maxi Orange à l’assaut du Trophée Jules Vernes. Avec ses 12 comparses d’aventure, voilà Yves Le Blévec détenteur du record du tour du monde en équipage, en 64 jours. Bienvenue dans la cour des très grands.
En 2003, le skipper s’essaie au Figaro, mais Bruno Peyron le rappelle pour aller battre leur propre record sur Orange II. Cinquante jours autour de la planète, quel symbole ! Malgré son « job en or » de boat captain du Maxi, le Mini se rappelle à Yves. Il démissionne et s’élance en 2005 sur son ancien bateau tout de violet vêtu, mais démâte alors qu’il est en tête de la deuxième étape. Ô rage, ô désespoir, ô gréement trop fragile… Il faudra revenir, et cette fois sur un bateau neuf, dessiné par Marc Lombard.
Il faut voir cette vidéo d’octobre 2007, en pleine torpeur de l’après-midi brésilienne. On y voit un drôle d’animal de 42 ans bondir comme s’il était monté sur ressorts, laissant éclater sa joie pure et sincère. En panne de BLU depuis plusieurs jours, il n’osait croire à la victoire, et pourtant, cette fois, elle est bien pour lui. Sa consécration en Mini 6.50, déjà partagée avec son sponsor Actual, lancera la suite de sa riche carrière, en Multi 50 puis, surtout, en Ultim, avec le rachat successif de plusieurs géants des mers, dont cet hiver le Maxi Edmond de Rothschild.
« Il lui faut une part de Mini dans sa vie »
Mais Yves Le Blévec n’en oubliera pour autant jamais la Classe Mini, siégeant six ans dans le conseil d’administration, avant de prendre la direction de plusieurs courses dont la Plastimo Lorient Mini 6.50, en 2017. « Il lui faut une part de Mini dans sa vie, ça fait partie de son équilibre de côtoyer cet environnement très dynamique, joyeux, enthousiaste, avec des profils tellement hétérogènes et qui ne rentrent pas forcément dans les cases. Réellement, il se nourrit de ça », confirme Sandrine Bertho, ancienne ministe également, qui partage non seulement la vie d’Yves Le Blévec, mais aussi la direction du Team Actual. « L’envie de transmettre son expérience, c’est quelque chose qui fait partie de lui. Il a à cœur de donner le meilleur de lui-même en préparant une course adaptée, ambitieuse et qui permet aux marins d’être tirés vers le haut mais sans piège qui les mettraient en difficultés ».
Et c’est peu dire que la formule fait mouche. « C’est quelqu’un de serein, calme, pédagogue, qui prend le temps pour les gens, même quand il y a des imprévus, résume Mathilde Monier, cheffe de projet de la Plastimo Lorient Mini 6.50 depuis 2017. Il connaît par cœur la communauté Mini, il sait où il va et il nous emmène avec lui, parce qu’il trouve toujours la solution qui fait que tout le monde sera content ».
« Il a une aura, les gens ont confiance en lui, en sa parole, confirme Annabelle Moreau, secrétaire de la classe. C’est l’image d’Yves que j’ai : un bonhomme qui aime sincèrement les Minis et les ministes, et qui a toujours une oreille attentive pour eux. »
Et quelle meilleure preuve d’amour que cette dernière folie en date, qui serait née, pour la légende, un soir de célébration des trente ans de la Classe Mini ? Depuis cet hiver, voilà Yves Le Blévec à nouveau à la barre d’un Mini, à batailler sévère parmi le groupe d’entraînement d’Orlabay pour lequel il a tant œuvré, lui qui est par ailleurs élu à la mairie de la Trinité-sur-Mer depuis cinq ans. De retour aux affaires, ravi et courbaturé, sur un TM 6.50 dessiné par Sébastien Magnen, et construit dans le chantier d’un certain… Charlie Capelle, pour le clin d’œil !
Officiellement, Yves Le Blévec n’est inscrit qu’à une course en solitaire pour la saison 2025. « Pour l’instant, il ne m’a pas parlé de la Mini-Transat, parce que monter un projet performant, puisqu’il ne pourrait pas faire autrement, ça demande beaucoup de temps qu’il n’a clairement pas, sourit Sandrine Bertho. Mais à vrai dire, je ne serais qu’à moitié surprise si ça finissait par être le cas… »