Au revoir Hervé


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Il nous a fallu un peu de temps pour trouver les mots. Peut-être parce que l’annonce de la disparition en mer d’Hervé Laurent, dans la nuit du jeudi 29 août, nous a laissé un sentiment d’irréalité. Pas lui, pas comme ça. Pas après toutes ses années à naviguer aux quatre coins du monde, sa quarantaine de traversées de l’Atlantique, ses deux Vendée Globe dont celui de 1996, édition probablement la plus difficile jamais vécue par des marins, conclue sur une impressionnante troisième place.

Et surtout pas là, sur un bête semi-rigide entre Groix et Larmor-Plage, à quelques milles de là où il était né, avait grandi dans l’ambiance ouvrière de l’arsenal, découvert la voile par erreur, après qu’une secrétaire de colonie de vacances avait noté « bateau » au lieu de « judo » - il avait embarqué en kimono en ronchonnant, le coup de foudre fut pourtant immédiat.

Là encore où, ses bords dans le Blavet ne suffisant plus à rassasier son appel du large et de la compétition, il a vu plus grand. Préparé ses bateaux de course dans une Base qui n’était encore qu’un vaste complexe déserté par l’armée, avec l’énergie et la ténacité de ceux qui ont toujours été meilleurs sur l’eau que devant des sponsors. Et le Café Leffe pour QG.

Juste au pied de l’île où il s’était récemment installé, après quelques années d’expatriation sur un caillou un peu plus ensoleillé, où il avait lancé l’association « Sailing pour tous », pour faire découvrir la voile à ces enfants Mauriciens qui n’avaient jamais vécu la mer par-dessus.

Dans ces coureaux si familiers où, depuis quelques années, lui qui se décrivait comme un « dinosaure de la voile » s’attachait désormais à transmettre son immense savoir, et former de jeunes – et moins jeunes – marins, en collaboration notamment avec Lorient Grand Large.

« Avec lui, tout paraissait simple »

Rien n’a de sens dans cette mort, mais il faut l’accepter. Le skipper de la première édition du Retour à la Base, Louis Duc, résume son immense peine : « Il était tellement discret qu’il passait inaperçu, alors qu’en fait, c’était un mec hors norme, une pointure de dingue ». Il en sait quelque chose, le coureur de la classe IMOCA, lui qui l’a longtemps considéré comme « un mentor, avant d’avoir la chance d’être son ami ». Depuis une dizaine d’années, Hervé l’aidait avant chaque grand départ sur la préparation météo. « Il était incroyablement bon, et surtout il te faisait te sentir bon aussi, parce qu’il n’utilisait pas de jargon inutile. Avec lui tout paraissait simple, parce qu’il l’abordait à son image, humblement ».

 

« Hervé Laurent était une bible, le genre de mec qui connaît à peu près tout ce qui flotte, tout ce qui ressemble de près ou de loin à un bateau », a réagi à l’unisson Marie Tabarly, qui a salué la mémoire d’un « marin complet, une rockstar discrète, un humour pince sans rire, un homme prudent mais joueur... »

« Un vrai gentil, comme on en voit plus beaucoup »

En débarquant sur les pontons lorientais au milieu des années 2000, Bertrand Delesne avait, lui aussi, bien plus de rêves que de certitudes. C’est sur son Mini 6.50 qu’il avait rencontré Hervé, « le plus simplement du monde, droit dans ses bottes, plein de sympathie ». « On m’avait dit que c’était un navigateur mais jamais il ne s’est vanté de quoi que ce soit. Avec lui, peu importe qui on était, on était sur un pied d’égalité. Il n’était pas du genre à avoir besoin de marcher sur les autres. Un peu comme sur un bateau : quand on navigue, on s’en fiche de qui est qui, il faut juste faire, et être ».

Depuis, les deux marins s’étaient « liés d’amitié ». « Il y a des gens, quand on les voit on sent qu’ils n’ont pas le temps. Lui il donnait toujours l’impression d’en avoir pour toi. Je ne suis pas bavard, mais avec lui c’était facile de parler », se souvient l’ancien boat captain de l’Ultime Idec.

 

Car Hervé était « un vrai gentil, comme on n’en voit plus beaucoup » souligne Cécile Chatelier, qui faisait partie du petit groupe de « ministes » qu’il avait pris sous son aile, depuis quelques années. « Il croyait dans les gens, c’était un truc de fou. Et quand il fallait rendre service à quelqu’un, il le faisait, et ça passait avant tout », explique la navigatrice. « Pour moi, Hervé c’est cette personne, comme on n’en voit plus, qui va toujours réamarrer un bateau quand il voit qu’il y a un risque. Il pourrait ne pas le faire, mais il le fait parce que ça lui paraît évident ».

 

Attention, ça ne veut pas dire que le Breton n’était pas capable de pousser une gueulante ou de faire un coup d’éclat ! Autour d’un petit verre et à force de lui tirer des vers du nez, les savoureuses anecdotes s’égrenaient dans la bouche de ce bon vivant plein d’humour. Comme cette Transat CIC conclue devant New York par un spectaculaire demi-tour vers la France avant même de toucher le ponton qui « avait mis folle de rage la direction de course » ; ou encore cette fois où, coincé dans le Grand Nord avec une mutinerie à bord, Olivier de Kersauson l’avait appelé pour lui demander de l’aide sur le routage. « T’es une tête de con, je vais pas t’aider », lui avait répondu Hervé, avant que son interlocuteur, visiblement un tantinet désespéré, lui promette « des vacances pour lui et ses enfants en échange ». Le deal avait finalement été conclu.

 

« En mer, il ne pardonnait rien. Parfois je me faisais engueuler toute la journée, il pouvait être dur, se souvient Cécile Chatelier, mais je sais qu’il le faisait pour moi, pour ma sécurité, pour que je ne prenne pas de risques en mer. Et je devais toujours lui envoyer un SMS pour lui dire que j’étais bien arrivé après mes trois heures de route pour rentrer à la maison. » Alors, pour lui « rendre un peu de ce qu’il donnait », la ministe avait trouvé son talon d’achille : la nourriture. Accro au saucisson et aux Pitch, il n’avait appris à cuire des pâtes que pendant le confinement... « Je lui préparais des repas, et il me renvoyait les plats vides par la Poste », sourit la navigatrice, qui résume « Hervé a rendu plein de gens heureux, il était resté un grand gosse qui s’amuse toujours, et encore plus quand il y un bateau dans l’histoire ».

Sa dernière facétie en date ? Cet été, il avait créé une nouvelle association pour dispenser ses formations, et, avec les bénéfices, financer l’installation de dessalinisateurs aux Iles Toamotu. Le nom de l’ONG ?  « Laurent Grand Large ».

 

Merci Hervé pour ce joli petit clin d’œil, et surtout pour tout ce que tu as apporté aux marins de « LGL », et aux marins tout court.

 

Pour tous ceux qui le souhaitent, un dernier hommage sera rendu à Hervé Laurent au centre funéraire de Kerlétu à Lorient ce mardi 10 septembre, à 15 h 45. Celles et ceux qui le souhaitent pourront ensuite venir boire un verre sur les rives du Blavet au Centre nautique de Saint-Guénaël, à Lanester, à partir de 17 h 45.

Ni fleurs ni couronnes. Pour que ça lui ressemble, vous pouvez plutôt faire un don à la SNSM ou à SOS Méditerranée.

 

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